Jadis je me sapais de ma plus belle
mélancolie et j'allais rejoindre la devanture la plus proche qui proposait le nouveau Manset. Peu importait le contenu, un nouveau
Manset, s'il vous plaît.
De mes plus belles armures en habit
fier, déterminé j'allais m'enquérir de l’œuvre, de la Matrice
histoire de Revivre toujours un peu plus, d'un billet pour Manitoba
ou Obok, plonger dans la vallée de la paix, le Siam en Crabe,
prisonnier de la lumière, j'allais fuir mon réel.
Naguère je partait en guerre pour
avoir l'objet solennel, ça avait de la gueule. Rien n'aurait pu m'en
dissuader, c'était comme ça, aucune hésitation possible pour mon rendez-vous,
aucune raison à mon crane ne pouvait me barrer la route. Un mythe au
bout du chemin se dessinait. Ferré je m'y rendais.
J'ai enfilé ce matin la parure de ma
plus belle brumaille et je suis allé recueillir le nouveau Manset.
Quoiqu’il arrive..rien que le geste.. quoiqu'il y ait dedans, rien
que pour l'idée.
En couple les oiseaux, ça sautille sec
sur la parcelle fraîchement fauchée.
J'ai toujours eu horreur des couples
qui vont faire leurs courses ensembles..papa conduit la charrette et
manman la charge pour toute la famille. Des fois y'a les gosses avec,
cette corvée immonde d’auto tamponneuse au milieu des rayons
surchargés m’affligent. Papa coche sur la liste tout en gueulant
sur ses rejetons qui réclament. Manman énervée elle aussi, prends
les produits rayés de la liste et les entassent dans la charrette
avant de passer à l'autre rayon. Y'a pas un code de la route comme
sur leur parking dans ces hangars hagards... « lost in the
supermaket » disait l'autre. Les mêmes produits, aux mêmes
endroits avec des codes partout.
Là c'est pas pareil. Les oisillons
attendent au creux du nid frais, de douces brindilles et de la mousse
encore verte. Il ne faut pas perdre de temps, œufs à découvert ou
petits sans plumes affamés à la merci d'une rafale de vent ou d'un
prédateur belliqueux. Tous les deux sautilles et s'échangent qq
brins d'herbe, un petit lombric arraché d'un coup sec à la terre
molle, entre deux rosettes de pâquerette. Je ne fauche qu'à
quelques endroits, une parcelle pour se poser et quelques
acheminements pour accéder. Le reste est mon laboratoire, je laisse,
guette et observe.. tout y renaît, tout grouille, un monde jaillit
calmement. Ces deux là sautillent, petite becquée, partage du
butin, bisous de bec avant un retour vif d'entre mes cyprès sombres.
Sur ma droite, contre le mur en pierre,
un névé de pétales blanches s'est formé depuis qu'il ne pleut
plus et que le vent fait des siennes. Mon cerisier semble se foutre
de la gueule de l'hiver, la guigne a eu ses flocons. Un filé d'eau
arrive jusqu'à mes pieds, la dernière averse n'a pas était tendre
avec les pollens.
Le ciel se couvre encore, il va falloir
rentrer et laisser ces couples à plumes faire le plein avant la
nuit. Moi mon frigo m'attend et mes livres à une brassée de ma
couette.
Dans mon huis clos, j'ai une petite
caisse en bois qui me serre de charrette à courses pour ma musique.
Tout est aligné à l'étage et mes enceintes sont en bas. Je ballote
mes disques dans cette boite en balsa, légère et belle. C'est un
coffre joyeux d'abondance qui peut se la péter de véhiculer de
belles choses. Elle peut contenir une vingtaine de CD, ça se
bouscule souvent, le choix pour une journée. Elle est belle ma boite
en balsa qui chante, elle est un rêve et dedans tous ces artistes
qui se bousculent, ma boite à musique manivelle, mon limonaire
portatif. Aucune règle, pas la peine de faire la queue, il y en a
même qui ne passeront pas, ceux que j'ai pu écouter en boucle il y
à quelques saisons. J'ai dans l'idée d'aller faire mes courses
là-haut et d'aller prendre ce Manic qui vient d'être réédité. Je
me souviens de cet opus introuvable dans l'hexagone, disponible à
Londres et qu'un pote m'avait ramené, il avait fait les courses pour
moi. « Know your enemy » avait pourtant
fait ses preuves sur la planète en 2001. Le deuxième CD est
hallucinant de bonus, pareil à « Know your enemy »
Deluxe paru en 2022.
Coïncidence, je suis sur le doc Simple
Minds. Glasgow ou Cardiff, Jim ou James Dean. Pourquoi les
écossais me laissent de marbre, pourquoi les gallois m'enflamment ?
« Lifeblodd » très classe avec un son puissant, moins
saturé que son précédent.
Le couple d'oiseaux est rentré, je
vais aller seul à l'étage, avec mon caddy en bois léger et sans
roue. Outre le fait de ne pas piffer les couples en supermarché qui
poirotent devant la caisse au tapis roulant en caoutchouc noir
dégueulasse avec chacun sa charrette toute chargée de boites et de
broc, je suis le seul à savoir où les ingrédients sont rangés
pour une recette galloise hyper sonique aux mélodies british
tranchées d'une haute voix pop, basse qui tape et guitares
volumineuses. J'adore les Manic, post chef d’œuvre cet album est
majeur.
Manic Street Preacher 2004
« Lifeblood » / 2024 Deluxe 3CD sur Sony
J'ai pris un Thoreau par les cornes et
j'ai vu le kayak qui comme un avion s'enlise dans cette grande
partance toute chargée d'aventures au long court.
Moi-même je voulais sortir ce tantôt,
puis au dessus de ma tète ce grand ciel triste à sec, comme une âme
fatiguée d'avoir trop pleuré. Ce chagrin fou depuis des lunes
invisibles et même l'année dernière à essorer les paupières de
ce bougre plafond enlisé dans sa déprime.
Il fallait s'y attendre, au bout d'un
moment les larmes sont à sec. Et pourtant la complainte est
toujours au fond des glandes. La voûte tente de se régénérer,
rétention des eaux, elle a une sale gueule quand même et je vais
rester dans mes pénates. Je fuis la menace asséchée.
Du coup l'eau vient d'en bas et nos
sols sont un giscle. Le pas mou, je ne sais plus où aller, alors
comme d'autres matent l'eau, je décide de me suspendre ente deux
eaux. Canapé, télécommande et bouquin. Au sec. Quoique. Je pagaie
et rame, où vais-je ?
Juste avant de me décider entre
plonger dans les « Sept jours sur un fleuve »
de Henry David Thoreau, ou me remettre une énième fois « Comme
un avion » de Bruno Podalydès, j 'écoute ma
découverte du moment Matt Low. J'ai dû me perdre dans les méandres
des artistes de par ici pour ne jamais avoir entendu parler de ce
Matthieu là. D'autant plus qu'il a côtoyé à l 'époque le
Murat de Babel (paroles de « Vert pomme »).
« Caillou » dans ses chansons lui aussi.
La télécommande figée, une nouvelle fois j'écoute « La rueé vers l'or » et
je me dis que c'est exactement tout ce que j'aime. Comment est-il
possible que ces disques là n'apparaissent que lorsqu'on fouille
éperdument ? Le groin aux aguets, tellement de fois
bredouille.. je vais lire un peu, le deuxième jour du Thoreau, avant
d'aller flotter vers Vimala et Agnès. Quand Matt se sera tu.
Le ciel n'arrive plus à pleurer
tellement depuis des jours il a chialer sa race. J'ai de la peine pour lui.
À venir le 26 avril.. son nouvel
album, en attendant...
Matt Low 2021 « La ruée vers
l'or » sur Microcultures.
Près
du Butin ensablé, la Seine s’emmanche. Du laiteux mou s’engouffre
dans l’albâtre. La Manche n‘a que faire de l’océan, ici le
bras l'agrippe. Plus haut sur la côte de Grâce, à coup cassé, les
24 cloches retentissent.
Le
plissé de l'arrière pays en dit long sur l’humeur des nacres et
du crachin. Le carillon comme un phare s’époumone. Sous le pont
les navires n'entendent pas. Ils pataugent lourds et longent le
grondement sourd des dockers juste en face. Dessus, les bahuts y vont
et en reviennent. Je regarde cette huile beige épaisse et me demande
bien ce qu’il peut y avoir comme poisson dedans, le taux de sel est
la frontière. Quelles épaves aussi, englouties dans ce café crème.
Plus en aval, le va-et-vient des remous comme une hésitation. Le sel
ou le doux. Il doit bien avoir un endroit précis où l’équilibre
est tenu.
La
marée fait son lit, les berges attendent. Face au large, la vase du
Butin respire une fois sur deux. Les bras de mer me fascinent.
Celui-là crayeux et visqueux engloutit mes pensées. Toujours les
mêmes tentatives de pénétration, puis cette même démission.
L'afflux se gonfle et se dégonfle comme une molle respiration. Si le
bras vient purger toute l’eau de l’homme, l'eau de mer pleure et
prend tout. Lent débit des veines. Elle en déveine sans cesse tente
de repousser et recrache.
Émeraude,
Opale, Albâtre .. la côte Padma Newsome, Bryce Dessner, Rachael
Elliott and Thomas Kozumplik, les Clogs révolus, des petites
symphonies de poche en tableaux sonores. Ils composent cet
accouplement des eaux, alangui et perpétuel. J'ai l'iode et l'humus
sur mon museau.
Pas de Camélia maquillant le granit,
ni d'ajonc salé dorant les corniches, ici les candélabres jaunes
jaillissent un à un du sol vert bouteille dégorgé.
Chaque année l'opéra des crucifères
des plaines me mettent en contemplation. La moutarde monte au nez des
champs, le jaune colza donne le coup d'envoi du grand débourrage.
Tout sourde et tremble, l'impatience des cellules a pris fin. Hors
l'humain dit-on, tout tend à se reproduire. Et des tableaux
s'étalent des pieds à l'horizon, tout jute. La pochette de cet
album est un nouveau réconfort pour mon cerveau.
Les cordes sont sorties, les ciels
changent à chaque seconde, tout se charge d'ambition et un voile de
délicatesse voltige sur le chant d'Oisin Leech. Drake et Jurado
convoqués. Si les couleurs primaires prennent doucement le pouvoir,
« Cold Sea » en songe folk acoustique
embellit chaque lueur respirée. Oisin n'est pas tout seul pour faire
fleurir ses mélodies. Steve Gunn et M.Ward accompagnent.
De grands verts tendres traversent la
lumière, des nuances de rouge dansent avec le cadmium, le bleu est
partout. Dehors rutilant, des nids se bedonnent, et le bal des
insectes est ouvert. « Cold Sea » des
contrées irlandaises est venu dans une merveilleuse coïncidence
chanter les premiers colza et la fin de mes pages des fées de
Tesson.
Des jours entiers que le ciel nous
tombe sur la tète. Je suis imbibé, le cerveau moisi et les
articulations en mouillettes. Tempéré !! mes plaines en terre
d’Écosse, le désertique après demain.
Ceci dit, après des brouettes d'heures
à voir dégringoler des cordes raides, la fin d'après midi se
dégage, éclairant du coup les heures les plus belles d'un printemps
hypothétique. L'envie de me mettre bien du coup, et de me fondre
dans cette pâle lumière féconde, peut-être la nuit sera un autre
déluge.
J'ai sous le coude, un album sorti pour
l'occasion. Et je pense à mon ami éclairé Le Toine tapi dans ses
guet-apens fous et passionnés et qui dégaine son Magic ! à la
moindre occase. Cette pop moderne en lecture que moi j'ai lâché
depuis qu'ils ont quitté les promontoires.
Sans rien connaître de Dan Matz à
l'époque, j'ai embarqué cet album sans réfléchir. Quelques longs
temps après, il s'est incrusté. Pas emballé aux premières écoutes
donc, je l'ai mis de côté à plusieurs reprises, sans pour autant
boycotter son CV artistique. Birtdwathcher, puis son incursion chez
Young Gods Records, ses albums solo et le sublime «Carry me over »,
celui-là j'ai ramé pour l'avoir. J'ai fouillé, biné, pris du
recul, tout mangé, j'ai gravité autour de ce lancinant et doux
disque que je ressors depuis comme un trésor, une retrouvaille. Il
me reste certes la madeleine d'une certaine bouderie, mais la peau
burinée des ages accumulés, je le trouve indispensable et
fascinant. « The Same » et son injection vénale d'une
percée molle ensoleillée entre deux masses de gris intense
menaçant.
Du flou dans mes idées alors que
dehors la myopie semble se dissiper. La brume se lève, la pochette
familière respire.
Pas de refrain, une peinture, « Now
I know the sea ».. « Emotional Rescue »
pierreux pour les moteurs de recherche et un rythme qui s'accélère.
Et que dire de « Fall of 68 »...
Des ondes asiatiques que je m'explique
pas, des boucles, 2002..la grande époque de plein de choses, revival
ou pas. J'avais du Low, Notwist et Arab Strap en découverte plein la
tète. Celui-là je me le suis laissé de côté pour mieux
l’apprécier plus tard, ou plutôt le chérir enfin, maintenant.
La pluie a cessé, j'écoute un vieux
Windsor en feuilletant le numéro 62 du Magic ! de juin 2002.
Focus sur Piano Magic, Faultline, Sonic Youth ou Avril.. le disque du
mois : « The Emotional Rescue LP »
Windsor for the Derby 2002 « The
Emotional Rescue LP» sur Aesthetics
Des flots de café au lait ont envahi
tous les cours d'eau. Les sous-bois sans-soif prennent leur part.
Plus haut, là où ça capte, la horde d’hypnotisés rêvent d'un
autre monde, les crétins digitaux déambulent dans le tintamarre.
Sur le cobalt, de grosses meringues
flottent au dessus des arbres sans feuilles. L'horizon s'assombrit.
Clapotis laiteux, mes pas dans la terre
grasse, ici tout est calme.